Sacha Ghadiri
Professeur adjoint, Service de l'enseignement du management, HEC Montréal (Québec)
Démanagérialisation des arts et de la créativité
Si l’introduction et l’utilisation des arts dans le monde de l’entreprise fait l’objet d’un intérêt de plus en plus soutenu, et parfois critique, le langage et les logiques managériales colonisent de plus en plus le monde, y compris celui des arts et de la création artistique. Or la culture managériale mène trop souvent à des modes pathogènes de construction de sujets et de régulation des identités (Alvesson & Willmott, 2002; Dejours, 2000). Cette emprise de la culture managériale n’est cependant pas totale et il existe des espaces organisés en marge de cette dernière dans lesquels il est possible de se construire, en tant que sujet, de façon alternative et souvent plus saine, contribuant ainsi à une forme de ré-enchantement du monde. Adoptant une approche foucauldienne, je propose une réflexion à partir de mon expérience au sein d’un collectif théâtral atypique qui, depuis 14 ans, adopte un mode d’organisation de la production artistique que je qualifie de « démanagérialisé » et qui contribue à la construction de subjectivités non-managériales. Pour mener cette réflexion, j’emprunte à Foucault sa notion de critique ontologique de nous-mêmes , sa quête d’une forme de vivre-ensemble et d’organisation plus éthique, et sa conception de la constitution du sujet. Le projet de Foucault, était de nous montrer que nous sommes plus libres que nous le pensons.
Messages clés
1. De la managérialisation à la démanagérialisation
Je définis la démanagérialisation en opposition à ce qu’on pourrait appeler la managérialisation. La managérialisation est ici un processus de colonisation et/ou de domination par le management (son discours, son vocabulaire, ses représentations, ses pratiques, ses valeurs, ses logiques, ses finalités – en un mot, sa culture) de domaines de la vie pouvant être considérés comme ne relevant pas de ses prérogatives. La démanagérialisation est un processus d'organisation tendant à l'adoption de pratiques non-managériales, de finalités non-managériales, d'un vocabulaire non-managérial , de relations de pouvoir non-managériales, en d'autres mots, d'une culture non-managériale. La démanagérialisation se manifeste à travers la culture d’espaces régis par des principes, des finalités et des pratiques alternatives d’organisation et de construction de sujets.
2. Démanagérialisation et construction du sujet Foucault nous offre une façon de comprendre ce processus de démanagérialisation à travers son projet de "critique ontologique de nous-mêmes" (Foucault, 1994). L'argument que je mets de l'avant est que ce processus de démanagérialisation se manifeste sous formes d'espaces sociaux qui offrent des espaces alternatifs de construction de soi (subjectivité et identité) en marge des identités et subjectivités produites dans le cadre des espaces managériaux. Je prétends que ces espaces démanagérialisés offrent l’occasion pour les sujets de se construire, de façon alternative, des subjectivités et des identités plus libres, saines et fiables en comparaison de celles qui sont produites et gérées au sein des entreprises. En effet, les organisations classiques (espaces managériaux) peuvent être vues comme des lieux pathogènes de production de sujets. Une analogie intéressante pour explorer la démanagérialisation est de la voir comme une décolonisation ou un assainissement des espaces de vie et des subjectivités. 3. Démanagérialisation et alternatives au management
Je prétends que l’étude de tels espaces démanagérialisés de création peut permettre de documenter des façons alternatives de s’organiser, en marge du modèle managérial dominant. En d’autres mots, ce sont des espaces précieux afin d’expérimenter des modes alternatifs d’organisation pouvant servir d’inspiration dans la réinvention de notre présent ainsi que dans le ré-enchantement du monde.
Le concept de démanagérialisation contribue aux débats tenus relativement à la culture d’alternatives au management et à aux possibilités de résistance à l’emprise du management sur la construction des identités et des subjectivités des membres de nos organisations. La démanagérialisation vient en effet éclairer des phénomènes de résistance générative et de recherche d’authenticité dans la construction de soi (Costas & Fleming, 2009; Thomas, 2009; Thomas & Davies, 2005) et d’expériences d'organisation alternatives au modèle managérial (Parker, 2002).
Messages clés
1. De la managérialisation à la démanagérialisation
Je définis la démanagérialisation en opposition à ce qu’on pourrait appeler la managérialisation. La managérialisation est ici un processus de colonisation et/ou de domination par le management (son discours, son vocabulaire, ses représentations, ses pratiques, ses valeurs, ses logiques, ses finalités – en un mot, sa culture) de domaines de la vie pouvant être considérés comme ne relevant pas de ses prérogatives. La démanagérialisation est un processus d'organisation tendant à l'adoption de pratiques non-managériales, de finalités non-managériales, d'un vocabulaire non-managérial , de relations de pouvoir non-managériales, en d'autres mots, d'une culture non-managériale. La démanagérialisation se manifeste à travers la culture d’espaces régis par des principes, des finalités et des pratiques alternatives d’organisation et de construction de sujets.
2. Démanagérialisation et construction du sujet Foucault nous offre une façon de comprendre ce processus de démanagérialisation à travers son projet de "critique ontologique de nous-mêmes" (Foucault, 1994). L'argument que je mets de l'avant est que ce processus de démanagérialisation se manifeste sous formes d'espaces sociaux qui offrent des espaces alternatifs de construction de soi (subjectivité et identité) en marge des identités et subjectivités produites dans le cadre des espaces managériaux. Je prétends que ces espaces démanagérialisés offrent l’occasion pour les sujets de se construire, de façon alternative, des subjectivités et des identités plus libres, saines et fiables en comparaison de celles qui sont produites et gérées au sein des entreprises. En effet, les organisations classiques (espaces managériaux) peuvent être vues comme des lieux pathogènes de production de sujets. Une analogie intéressante pour explorer la démanagérialisation est de la voir comme une décolonisation ou un assainissement des espaces de vie et des subjectivités. 3. Démanagérialisation et alternatives au management
Je prétends que l’étude de tels espaces démanagérialisés de création peut permettre de documenter des façons alternatives de s’organiser, en marge du modèle managérial dominant. En d’autres mots, ce sont des espaces précieux afin d’expérimenter des modes alternatifs d’organisation pouvant servir d’inspiration dans la réinvention de notre présent ainsi que dans le ré-enchantement du monde.
Le concept de démanagérialisation contribue aux débats tenus relativement à la culture d’alternatives au management et à aux possibilités de résistance à l’emprise du management sur la construction des identités et des subjectivités des membres de nos organisations. La démanagérialisation vient en effet éclairer des phénomènes de résistance générative et de recherche d’authenticité dans la construction de soi (Costas & Fleming, 2009; Thomas, 2009; Thomas & Davies, 2005) et d’expériences d'organisation alternatives au modèle managérial (Parker, 2002).